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jeudi 5 mai 2011

Ben Laden : avec ou sans, il faut quitter l'Afghanistan



Il y a quelques semaines de cela, l’Afghanistan était « une guerre oubliée ». C’est ce que nous expliquait Le Monde en date du 16 avril. La Libye avait pris le pas, et l’on guettait avec gourmandise un enlisement ici, sans se souvenir que nous étions depuis dix ans enlisés là bas. Le décès, dans la vallée de la Kapisa, du 56ème de nos militaires n’a d’ailleurs pas ému grand monde.

Celui d’Oussama Ben Laden[1], en revanche, a remis l’Afghanistan à la « Une » de nos journaux, qui, pour la plupart s’accordent à dire « pour l’Afghanistan, ça ne change rien ». En effet, ça ne change rien, ou pas grand-chose, sauf peut-être…l’essentiel : la disparition de l’icône jihadiste va contraindre à reformuler l’objectif recherché dans ce pays d’Asie centrale où meurent nos soldats, tandis que nos otages préfèrent quant à eux mourir au Sahel.

La guerre d’Afghanistan, déclenchée après les attentats du 11-Septembre, le fut bien, au départ, sous les auspices de la légitime défense. Il s’agissait, pour les Etats-Unis et leurs alliés de mettre à bas l’émirat taliban qui offrait gîte, couvert et camps d’entraînement aux « Arabes afghans », ces compagnons de longue date, dont certains firent leurs armes en luttant aux côtés des moudjahidines afghans contre l’occupant soviétique.

De ce point de vue, la victoire fut rapide, et c’est en Afghanistan bien plus qu’en Irak que George W. Bush aurait dû s’écrier « mission accomplie » ! Dès la fin de l’hiver 2001, le mollah Omar enfourchait son Piaggio direction le Pakistan, et Ben Laden s’évaporait aux confins des zones tribales.

Dès lors, et puisque nous étions « tous des américains » il fallut bien trouver de bonnes raisons de rester. Tandis que de grands clausewitziens nous invitaient à la patience en répétant doctement qu’il est « plus facile de commencer une guerre que de la finir », on fit pleurnicher un peu dans les chaumières sur le sort des femmes afghanes, claquemurées dans leurs prisons de tissu, sort bien plus atroce, semblait-il, que celui des femmes saoudo-yéménites. On nous expliqua également qu’il fallait démocratiser l’Afghanistan « par le haut »,  ce qui, pour d’obscures raisons, semblait bien plus urgent que de démocratiser la Corée du Nord. A ce jour, la réussite de l’entreprise est à peu près aussi convaincante que celle des impétrants qui voulurent marxiser « par la force » et sans autre forme de transition la Russie des partisans blancs. On n’alla tout de même pas jusqu’à nous faire le coup des intérêt pétroliers : c’eut été un peu gros. Mais celui de la lutte à mort du Bien contre le Mal, oui. Si nous partions, il y aurait une dictature, ce que comme chacun sait, nous n’avons jamais cautionné nulle part.

Et puis, il restait le problème taliban. Mais les plus vindicatifs d’entre eux sont certainement les talibans pakistanais du Tehrik-e-taliban-Pakistan (TTP), et non leurs homologues afghans, plus occupés désormais par des objectifs strictement nationaux que par des affaires de guerre sainte. Comme l’explique Jean-Pierre Filiu[2], « Ben Laden (cultivait) chez les talibans pakistanais la volonté d'exporter le jihad qui a largement disparu chez les talibans afghans, concentrés sur l'impératif de reconquête de leur territoire ». C’est pourquoi un ancien ministre iranien des Affaires étrangères considérait il y a peu que « la solution doit être régionale, non  militaire ». Ainsi, alors que le Pakistan utilise ses propres talibans comme une arme contre son rival indien, sans doute serait-il plus judicieux de soutenir diplomatiquement un règlement politique du différend indo-pakistanais.

Quant aux talibans afghans, il est possible qu’ils réintègrent un jour le jeu politique du pays. La volonté rémanente d’Hamid Karzaï de négocier avec eux en est un signe. Mais rien n’indique qu’ils seront à nouveau menaçants, si ce n’est pour leur propre peuple. Dès lors, comme que le propose le général Lamballe « laissons-les gouverner à leur guise. Les populations qu’ils administreront finiront bien par s’apercevoir qu’ils ne sont pas meilleurs et plus efficaces que les modérés. Ils seront probablement pires et alors, après une prise de conscience populaire, tout peut changer ». De cela, et du fait que la démocratisation arrive toujours « par le bas » nous avons la preuve quotidienne en observant les révoltes populaires qui secouent actuellement le monde arabe.

Ce sont elles, d’ailleurs, qui ont véritablement tué Al-Qaïda, tant il est vrai que face au processus de libération actuellement à l’œuvre au Maghreb comme au Machrek, l’idée de révolution islamique à la sauce Ben Laden paraissait déjà has been.

La nébuleuse à présent privée de son chef, les différentes franchises telles AQMI continueront sans doute à s’agiter ça et là de manière autonome et erratique. Mais dans ce cas là, d’ores et déjà, c’est vers le nord de l’Afrique qu’il faut porter le regard et l’effort.


[1] Que nous décidons de considérer comme vraie, photo insoutenable à l’appui ou pas, mus que nous sommes par cet optimisme quasi juvénile que provoque inexorablement l’éclosion du printemps.
[2] Auteur des Neuf vies d’Al-Qaida, Fayard, 2009.


2 commentaires:

  1. Tiens, c'est à peu près ce que conclut Robert Fisk (The Independent);
    Voir à ce propos :
    http://www.come4news.com/bourbier-lybien,-bourbier-syrien,-bourbier-afghan,-c-704426

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  2. Effectivement, je me demande ce qu'on fait encore là-bas.

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