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mardi 30 août 2011

Chevènement – Montebourg, « pas de divergence sur le fond »




« Voici venu le temps des jeunes lions ! » s’était exclamé Arnaud Montebourg un jour de juin 2007, alors qu’il s’envisageait déjà en socialiste « nouvelle formule ».

C’est avec un autre lion, le « vieux lion de Belfort » que le candidat à la primaire socialiste débattait mardi 30 août à l’occasion d’un colloque intitulé : « L’Europe dans la mondialisation : que faire ? ». Loin de l’atmosphère « cimetière des éléphants » qui semble se dégager parfois des symposiums rochelais de la famille socialiste, ce numéro de duettistes correspondait enfin à ce que l’on serait en droit d’attendre de véritables primaires : on y parla politique, et pas seulement stratégie individuelle.

L’un pourtant des protagonistes ne participera pas aux primaires. Il ne souhaite en aucune façon s’engager dans ce processus qui contraindra les vaincus à adouber le vainqueur. Les militants du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) font d’ailleurs circuler une brochure rédigée par le « Ché » : « pourquoi je serai candidat ». Comme en 2007, le sénateur de Belfort se réserve la possibilité « d’y aller ». Sans accepter pour autant de lever le doute, il affirme avoir pour ambition principale de "peser dans le débat".

Le colloque commence par une mise en bouche assurée par l’économiste Jacques Sapir, auteur de La démondialisation, le journaliste économique Jean-Michel Quatrepoint (Mourir pour le yuan), et le président du think tank Terra Nova, que Montebourg finira d’ailleurs par moucher en ces termes « Alain Minc est désormais plus à gauche qu’Olivier Ferrand ».

La présence de ce dernier, toutefois, permit un échange musclé, Ferrand recyclant l’antienne selon laquelle « l’euro nous protège », et les deux économistes lui portant une contradiction sans concession. Ce débat comme il n’y en a que trop rarement, souligne sans simagrées des désaccords profonds entre ce que l’on peut désormais appeler les « deux gauches ». L’une interventionniste et volontariste est souvent nommée « souverainiste ». L’autre, plus libérale que sociale, conserve une foi intacte dans les bienfaits du « doux commerce » et dénonce le « protectionnisme bestial » - rien que ça. On se surprend à se demander si ces deux gauches seront un jour réconciliables, et même à douter de la pertinence du clivage droite-gauche.  La véritable ligne de démarcation ne serait-elle pas aujourd’hui entre libéraux-vaguement-sociaux et  nationaux-républicains ? La confrontation des « experts » eut le mérite immense de soulever cette question.

Avec les deux vedettes de la soirée, Jean-Pierre Chevènement et Arnaud Montebourg, il fut aussi question de politique. Mais de débat, il n’y en eut guère. Car les deux hommes semblent aujourd’hui d’accord sur bien des choses, et l’on assistait davantage au scellement d’une entente qu’à une confrontation.

Pour le belfortain, la question prioritaire aujourd’hui est celle de la monnaie unique. Invité sur Europe1 lundi 29 août, celui-ci déplorait qu’à La Rochelle, « aucun des candidats n’ait abordé la question centrale » de l’euro. On ne présente d’ailleurs plus les thèses de l’ancien ministre, rendu fort injustement célèbre pour son euroscepticisme supposé.

Pourtant, Chevènement n’est pas de ceux qui réclament une mise à mort immédiate de l’euro. Il en propose au contraire une dévaluation propre à sauver l’eurozone qu’une appréciation excessive face au dollar et au yuan asphyxie. Il se pose également en apôtre de la monétisation des dettes publiques, et salue le récent rachat, par la Banque Centrale Européenne, de titres de dette italienne et espagnole. Pour Chevènement, sauver la monnaie unique est donc le « plan A », dont le retour aux monnaies nationales et la transformation de l’euro en simple monnaie commune signerait un regrettable échec.

Quant à Arnaud Montebourg, il ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme : « un responsable politique peut craindre l’écroulement de l’euro, mais il ne peut pas parier là-dessus (…) je défends une stratégie de monétisation de la dette  ». Il semble donc que les secousses estivales générées par la « nervosité des marchés » et par le second plan de sauvetage de la Grèce aient décillé celui dont Daoud Boughezala disait ici même avec raison : « Montebourg ne remet jamais explicitement en cause l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. La responsabilité des gouvernements européens coupables d’une surévaluation de l’euro par rapport au dollar et au yuan n’est pas évoquée »

Tâcher de sauver l’euro en contraignant la BCE à intervenir quitte à violer de façon consciente et assumée les traités de Maastricht et de Lisbonne, tel semble être le principal point d’accord auquel ont abouti le jeune et le vieux lion. Auparavant, ils avaient d’ailleurs posé le même diagnostic : l’euro n’est pas une monnaie économique. Elle souffre d’un vice de conception qui a fait diverger gravement les économies de la zone, et la situation est aujourd'hui périlleuse. Toutefois, en tant que monnaie politique et quoiqu’il ne nous protège en rien, l'euro mérite d’être sauvé.

D’autres points de convergences se font jour entre le sénateur et le député. S’il n’est guère surprenant d’entendre Chevènement réaffirmer la nécessité, pour la France, d’une Défense indépendante, il est rassérénant d’écouter Montebourg déplorer « l’abaissement des fonctions régaliennes de l’Etat ».  

On comprend, dans ces conditions, que l’aîné assure son cadet de son « estime », et qu’il ajoute : « il fraye les chemins de l’avenir ». On demeure un peu surpris lorsque ledit cadet se paye le luxe d’exhorter l’assemblée à « voter Jean-Pierre Montebourg » au premier tour de la primaire. Voici une héritage arraché de manière bien cavalière des mains de celui qui allait le donner. Pour autant, on aura compris combien les deux leaders entendent désormais faire front commun contre la mondialisation et le système néolibéral. Et l'on ne sera pas surpris, dans les jours qui viennent, d’entendre murmurer « Chevènement soutient Montebourg ».

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lundi 22 août 2011

Non-humain, trop humain ?




Chaque année, les vacances d’été amènent sur les écrans de cinéma leur lot de blockbusters bien plus sûrement que le réchauffement climatique n’amène la canicule. Et chaque année, l’effet de surprise est au rendez-vous, conséquence du progrès constant des effets spéciaux allié à une recherche du réalisme sans cesse renouvelée. C’est le cas de La planète des singes : les origines, de Rupert Wyatt. L’extrême frugalité de l’intrigue n’en fait certes pas un chef-d’œuvre. Mais la perfection des images de synthèse utilisées pour mettre en scène le héro simiesque nous donne à voir cet animal comme on se regarde dans un miroir. Elle nous rappelle combien la troublante question de la frontière entre l’homme et la bête a pu fasciner non seulement les cinéastes, mais aussi les écrivains. 


La planète des singes : les origines, énième rejeton cinématographique du roman de Pierre Boulle ne brille certes pas par la qualité de son scénario, qui ne nous épargne aucun des poncifs nécessaires à la confection d’une superproduction. Il y a tout d’abord la dénonciation grossière de l’industrie pharmaceutique alliant l’âpreté au gain de l’homme d’affaires à l’inconscience d’un jeune et beau docteur Frankenstein, auquel sa créature – un chimpanzé rendu surdoué par une molécule de synthèse – va bien vite échapper. Suivent toutes les figures de style obligatoires et sans surprise: la problématique de l’altérité et la solitude du dissemblable, la prise de conscience collective, lente mais inexorable, d’un lumpenprolétariat animal qui finira par briser ses chaînes à l’appel d’un Spartacus quadrumane ayant appris à dire « non », puis, enfin, le meurtre symbolique du père. Notre primate héroïque quitte en effet l’humain qui l’a élevé pour aller vivre sa vie de singe au sommet de sycomores millénaires, ce qui est tout de même plus éco-responsable que dans un pavillon de banlieue avec cuisine en formica.

Finalement, c’est bien dans sa mise en oeuvre remarquable des effets spéciaux que tient la réussite du film. L’usage de la « performance capture », déjà utilisée par James Cameron dans Avatar, et qui consiste à plaquer sur de véritables acteurs un « maquillage » de synthèse, humanise de façon surprenante les chimpanzés-héros. Leurs mimiques et leur regard permettent de jouer toute la gamme des émotions humaines, poussant jusqu’à son comble l’anthropomorphisme habituel de ces fictions qui arpentent avec fascination et depuis longtemps la ligne de démarcation entre humanité et animalité.

Cette précision de l’image conduit hélas à trancher un peu vite une question que la littérature, fort heureusement, a choisi de laisser irrésolue. Car pour Rupert Wyatt, les choses sont faciles. L’homme est monstrueux. Il torture l’animal en faisant sur lui des expériences scientifiques qui confinent à la folie et dont il cesse rapidement de maîtriser les conséquences. Ce faisant, il créée les conditions de sa propre destruction, et c’est bien fait. A l’inverse, le singe est humain. Il prend une juste revanche, sans haine, mais avec une intelligence et une détermination qui se lisent dans ses yeux. Paradoxalement, et parce que la qualité technique du film semble avoir utilisé la suggestivité d’un visage humain « avatarisé » pour gommer toute complexité, on se remémore aussitôt ces interrogations que quelques écrivains du milieu du XX° siècle avaient laissé en suspens.

Ainsi se rappelera-ton une autre révolution animaliste, celle décrite par George Orwell dans La ferme des animaux. On évoquera aussi Robert Merle, qui sut attraper la difficile question de la communication homme/animal par tous les bouts : d’abord sous l’angle de la science-fiction, dans Un animal doué de raison, puis à la manière hyper réaliste de l’observateur scrupuleux d’une expérience scientifique dans Le propre de l’homme. Ce dernier ouvrage donne d’ailleurs à la question du langage animal une réponse exactement inverse à celle fournie par Wyatt. Même bercée depuis l’enfance par des bras humains, et quoiqu’ayant appris le langage des signes à l’instar du héro de La planète des singes, le chimpanzé Chloé ne prononcera jamais une parole. Enfin, on se souviendra du père Dillighan, ce bénédictin mis en mots par Vercors, qui rejoua dans le secret de sa conscience la controverse de Valladolid, et souffrit tant de ne pouvoir répondre à cette simple question : Les animaux dénaturés, ces « tropis » à mi chemin entre l’homme et la bête, ont-il une âme ?

Doit-on immédiatement conclure que seul l’écrit permet la nuance et que le cinéma, essentiellement préoccupé de produire des images spectaculaires, n’a à offrir que du manichéisme hollywoodien ? Rien n’est moins sûr. Boulle, Orwell, Merle et Vercors écrivaient pendant la Guerre Froide. Le monde s’ébrouait au sortir d’une guerre mondiale qui  avait vu des milliers d’hommes se « rhinocériser », comme le disait Ionesco. Cela amenait nécessairement la question suivante : l’être humain n’est-il pas le seul animal authentiquement bestial ?

Rupert Wyatt, lui, est un homme de notre époque, cette modernité qui se caractérise, selon certains, par la fin des idéologies, et où d’autres voient dans l’écologie une utopie de substitution. Avec tout ce que cette dernière, au delà de sa doxa a priori sympathique, dissimule de défiance envers l’homme pour mieux aimer « le vivant », de suspicion pour la culture qui s’oppose trop à « la nature », autrement dit, et comme le pressentait Luc Ferry[1] dès le début des années 1990, d’antihumanisme. Dans ces conditions-là, prenons garde que les grands singes ne finissent effectivement par gagner cette (contre)révolution.


[1] Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Grasset, 1992

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jeudi 4 août 2011

Marine Le Pen à l'école de la République





Marine Le Pen se repose peu. La dernière sortie du "vieux" relative au drame norvégien ayant achevé de gâcher sa villégiature en Bretagne, l’héritière s’est remise au travail. Elle poursuit son œuvre d’exhumation et de remise à la mode des thématiques favorites de ceux que l’on nomme " souverainistes ", mais qui furent plus élégamment baptisés "nationaux-républicains" par Henri Guaino.

Il est vrai que le succès sondagier de "Marine" s’étiole quelque peu ces derniers temps. A-t-elle d’ores et déjà poussé trop loin son travail de dédiabolisation du Front national au point d’en gommer le caractère sulfureux qui fait tout son sel ? Plus simplement, comme le suggérait récemment Pascal Perinneau, s’est-elle lancée trop tôt dans une campagne de longue haleine au risque de lasser par excès d’exposition médiatique ?

Quelle que soit la réponse, Marine Le Pen semble vouloir se renouveler. Après avoir proposé la sortie de l’euro, vilipendé le "mondialisme" comme d’autre réclament la démondialisation, abondamment cité les travaux de Jacques Sapir et s’être approprié ceux d’Emmanuel Todd, la patronne frontiste paraît sur le point de faire sienne un autre volet phare de la doxa républicaine: celui relatif à l’éducation. Ainsi, le 2 aôut, par le truchement de son compte Twitter, M. Le Pen annonçait : "je prononcerai en septembre un discours important sur l’école, entourée de professionnels et de professeurs".

Un grand discours sur l’école, voilà bien la dernière chose à laquelle le FN ancienne formule nous avait habitués. La patronne du Front se prépare-t-elle a faire l’apologie de l’enseignement privé et des écoles confessionnelles pour complaire à la frange "catho-tradi" de son parti ? Abandonnera-t-elle déjà son discours laïc pour affirmer, comme le fit Nicolas Sarkozy au Latran que "dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé " ? Rien n’est moins sûr. En réalité, Marine Le Pen a déjà posé les jalons de sa réflexion sur l’école à l’occasion de son discours du 1er mai aux pieds de la statue de Jeanne d’Arc.

Dans cette harangue dont bien des passages ont laissé de marbre un public manifestement peu préparé, l'oratrice avait en effet glissé un passage sur l’école passé presque inaperçu dans les comptes-rendus médiatiques ayant relayé l’événement. Ainsi, face à une assemblée incrédule, M. Le Pen déclarait-elle, citant Condorcet et de fustigeant les pédagogistes : "l’apprentissage de la liberté se fait, vous le savez, dès l’école (…) l’enfant roi, et toutes les théories dramatiques colportées par les pédagogistes issus de 68, ont ruiné l’école, qui ne transmet plus le savoir comme c’est pourtant son rôle premier. (…) Le redressement de l’école passera par un relèvement des exigences (…): relèvement des exigences de niveau, relèvement des exigences de discipline, relèvement des exigences dans la transmission des valeurs". Voilà une saillie que n’auraient pas reniée les héritiers de Jules Ferry.

"Marine" affirme vouloir s’entourer de  spécialistes  pour nourrir ses réflexions sur l’école. Il semble acquis qu’elle ne jettera pas son dévolu sur un Philippe Meirieu, pédagogiste en chef, par ailleurs déjà préempté -en toute logique- par les bien-pensants d’Europe Ecologie Les Verts. On peut donc gager qu’elle se tournera plus volontiers vers la famille des " old-school ", ces chantres de l’exigence, du travail et du mérite que d’aucuns s’appliquent à ringardiser en les traitant de "nostalgiques des blouses grises". Dans son discours du 1er mai, entre autres intellectuels de talent, l’héritière faisait déjà une OPA aussi inattendue que tactiquement judicieuse sur Natacha Polony. Mais M. Le Pen pourrait également être tentée de s’inspirer du sémillant auteur de " La fabrique du crétin ", Jean-Paul Brighelli, d’ores et déjà suspecté par ses détraceteurs de " crypto-lepénisme ", comme il le déplorait en ces termes sur son blog :  " quand je dénonce la collusion objective des pédagos et des libéraux, tous favorables à l’éclatement du service public d’éducation (…) je fais certainement le jeu du FN ? Quand je déplore la substitution, à l’ambition de transmettre des savoirs, de la constitution de savoir-faire et de savoir-être je fais toujours le jeu du FN ? Dire la vérité, voilà qui fait le jeu du FN ?…"

On ne peut pas suspecter Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Natacha Polony ou Jean-Paul Brighelli de "faire le jeu du FN" ou d’en "décontaminer la pensée" selon une expression désormais très en vogue. Il est facile et malhonnête pour les adversaires de leurs idées de "lepéniser" ces dernières, et de les discréditer au seul motif que Marine le Pen s’en est saisie. Nul ne peut empêcher cette dernière d’avoir les références qu’elle désire. Et l’on ne va tout de même pas se désoler qu’elle ne lise pas Mein Kampf !

Il est également commode et peu efficace de qualifier la doxa mariniste "d’attrape-tout", et de la rejeter en bloc au prétexte qu’elle tiendrait un "double discours", tout en s’entourant d’une garde rapprochée composée de la droite radicale la plus dure. C’est la thèse que défendent Caroline Fourest et Fiammetta Venner dans leur ouvrage, Marine le PenMais comment espérer sérieusement convaincre que la frontiste est insincère, à moins d’être dans sa tête ? Par ailleurs même si elle l’est, combien de politiques peut on gratifier de toujours penser ce qu’ils disent et de toujours faire ce qu’ils promettent ?

La seule question qui vaille d’être posée, à l’aune de l’entrée en campagne, est celle des raisons du succès de Marine le Pen, et d’un Front national que l’on envisage déjà au second tour de la présidentielle. Les thématiques de la démondialisation, de la sortie de l’euro, de la laïcité, et, demain, de l’école, portent Marine le Pen. Pourquoi la laisse-t-on seule s’en emparer ? Ceux, de gauche comme de droite, qui la désignent comme étant le Diable vont-il continuer à lui abonner les meilleurs morceaux comme ils abandonnèrent jadis la Nation et le drapeau à Le Pen père ? C’est hélas possible. Mais alors, si elle venait à gagner et s’il fallait chercher des responsables, nous serions en droit de leur demander des comptes.

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