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lundi 29 avril 2013

Europe : est-ce vraiment l'Allemagne qui paie ?





On s’en doutait, mais on en a eu la confirmation ce week-end : il y a en France des débats interdits. Comme on évite de parler cul dans l’Iran de mollahs, il faut éviter, dans la France d’Alain Juppé, de Jean Quatremer ou d'Elisabeth Guigou, de parler de la droite allemande autrement que pour en dire du bien.

Comme l’explique Hubert Huertas ici, il y sans doute derrière un tel tabou, une forme de religiosité : on ne rigole pas avec le bon Dieu, et encore moins avec « l’Europe-c’est-la-Paix ».

Mais on ne rigole pas non plus avec le denier du culte. Or, pour beaucoup, l’affaire est entendue : l’Europe, c’est l’Allemagne qui la finance. Et la crise, c’est elle qui la paie.

Et si c’était précisément l’inverse ? Car il est bien difficile d’imaginer qu’un pays ayant financé sa réunification au prix fort accepte aujourd’hui de payer pour les autres, sans jamais exiger de contrepartie. Sans jamais exiger, notamment, que les pays les plus faibles (ceux pour lesquels l’Allemagne est supposée payer, donc) quittent l’Union, ou au moins la zone euro.

Par ailleurs, on observe :

  • Qu’il n’a jamais été sérieusement envisagé de créer une union de transferts, seule susceptible, en principe, de rendre viable une zone économique partageant la même monnaie. Patrick Artus l’explique ici : les pays du Nord n’en veulent pas. L’Allemagne sans doute moins que les autres. Et pour cause : selon Jacques Sapir, elle devrait abandonner de 8 à 10% de son PIB chaque année pendant environ dix ans pour mettre à niveau les pays d’Europe du Sud. Croire qu’une telle chose est possible, c’est un peu comme croire que Monsieur Spock existe pour de vrai : au final, on risque d’être déçu.
  • Quant à l’actuel budget européen, l’Allemagne y est certes le premier contributeur net. Mais enfin, il ne représente guère que 1% du PIB de l’Union. En outre, pour la toute première fois, il a été revu à la baisse (- 3%) pour la période 2014-2020. Tant de solidarité, ça fait vraiment rêver…
  • La solidarité, on en revient également lorsqu’on se souvient du faible écho rencontré par la proposition française de créer des eurobonds afin de mettre en commun le financement des Etats : un « non » franc et massif des allemands, un joli bide pour l’Hexagone.
  • L’Allemagne est enfin la première source de financement du MES, le mécanisme européen de stabilité, avec une contribution de 190 milliards d’euros. Mais enfin, la France contribue à hauteur de 142 milliards (oui : c’est énorme) et l’Italie, dans l’état où elle se trouve, à hauteur de 125 milliards.

Si l’on fait le bilan de tout ça, on est moins certain, finalement, de ce que l’Allemagne paie !
En revanche, on sait ce qu’elle gagne :

  • L’excédent commercial allemand atteint des records, avec, notamment, un pic 188 milliards d’euros en 2012. Or l’Allemagne réalise 70% de ses exportations en Europe. C’est donc sur ses propres partenaires qu’elle engrange ces surplus.
  • Cette performance a été permise par un gros effort de modération salariale : le salaire moyen a baissé de 2,5% de 2000 à 2010. Cela fait dire aux inconditionnels du modèle allemand que nous ferions bien, nous, cigales d’Europe du Sud, d’imiter notre sage voisin. Hélas, si un seul pays décide de contracter sa demande intérieure, il peut bénéficier de la demande de ses clients. Si tous les pays mènent cette politique en même temps, c’est la récession assurée pour tout le monde. Car pas de clients, pas d’exportations. Et pas de bras, pas de chocolat.
  • L’Allemagne a besoin d’accumuler ces colossaux excédents en prévision de l’avenir. Comme l’explique Jean-Michel Quatrepoint dans Mourir pour le yuan, ce pays – tout comme la Chine – est vieillissant. Il y a donc urgence, pour lui, à engranger ce qui lui servira demain à financer les retraites. Bien plus qu’à créer des emplois pour une population active qui, elle, diminuera. Dès lors (voir la carte ci-dessous), ne sont-ce pas plutôt les actuels chômeurs d'Europe du Sud qui paient les retraites des Allemands de demain ?...



Voilà pourquoi, sans en espérer une réorientation immédiate de la politique européenne du gouvernement, on peut se réjouir que quelques représentant du PS se soient exprimés sur à la nécessité de remettre en cause le teneur actuelle de la relation franco-allemande. La chose mérite au moins d’être débattue, ne serait-ce que :

  • Parce qu’il serait aberrant qu’un gouvernement socialiste s’interdise de critiquer un autre gouvernement de l’Union, de droite celui-ci. Sigmar Gabriel, le leader du SPD allemand, fait exactement la même chose lorsqu’il accuse Angela Merkel de conduite l’Europe à l’anorexie. Quant à la chancelière, elle ne s’est pas gênée pour intervenir personnellement dans les affaires intérieures de la France, et de prendre position, durant la campagne présidentielle de 2012, en faveur de Nicolas Sarkozy.
  • Parce que l’Europe du Sud et celle du Nord n’ont pas les mêmes structures économiques, non plus que démographiques. Elles n’ont donc pas les mêmes contraintes. L’Allemagne vit essentiellement de ses exportations, et se satisfait volontiers d’une demande intérieure contenue. La France, beaucoup moins. En revanche, la démographie française, elle, est dynamique. D’où la nécessité de créer de l’emploi, pour accueillir les nouveaux entrants sur le marché du travail.
  • Enfin, parce qu’il serait étonnant que la bonne santé de l’économie allemande dure éternellement si ses principaux clients s’abîment dans la récession. Et cela, à moins d’être des enfoirés germanophobes et de fort mauvais voisins, peut-être serait-il généreux de le lui dire.

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6 commentaires:

  1. À quoi bon une démographie dynamique, pratiquement 30% des moins de 30 ans sont aux chômage ou en extrême précarité. Sans les emplois subventionnés et le secteur public, 1 jeune sur 2 serait au chômage, comme en Grèce et en Espagne. La France n'exporte plus grand chose, ses produits ont une réputation médiocre et sont trop chers. Encore la faute des Allemands j'imagine...

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  2. Je m'élève au plus haut point contre ce texte vulcanophobe. Monsieur Spock existe! Il est à bord de l'enterprise. Je vais de ce pas écrire à la cour européenne de justice pour lui demander de me donner raison.

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  3. Bonjour,
    J'ai eu l'occasion de saluer votre excellent article aujourd'hui sur AV.
    Je vous rejoins ici sur de nombreux points: http://marcelthiriet.blogspot.fr/2013/04/de-lallemagne-suite.html
    Bien à vous
    Bonne journée!

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  4. Sur votre deuxième proposition justifiée de débat on voit poindre une énorme contradiction.
    Notre pays qui a une croissance démographique dynamique a la nécessité de créer beaucoup d'emplois.
    Comment créer beaucoup d'emplois quand on a le coût du travail le plus cher de la zone? C'est économiquement impossible.
    En renchérissant sans arrêt le coût direct et indirect du travail, on fait le chemin inverse de celui attendu, ce qui se produit aujourd'hui.

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  5. Lea Andersteen6 mai 2013 à 03:22

    Le cout du travail le plus élevé? La bonne blague. Et la plus grosse productivité Anonyme... Surtout. Donc a un cout donné, la France produit énormément plus.

    Ce que l'on appelle le "cout du travail", c'est les cotisations sociales et les services public. C'est a dire une bonne santé et une bonne formation du travailleur et des infrastructures de qualité. Et ça impacte énormément la productivité générale de l'économie.

    D'où la grande productivité du salarié français.
    http://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite/productivite-les-etats-unis-et-la-france-sont-en-tete-et-creusent-l-ecart_1032139.html

    Mieux que l'allemand... Qu'on se le dise.

    Répéter le discours du MEDEF, il faut un peu arrêter et ouvrir les yeux. Regarder les FAITS. Et cesser de répéter le Dogme de la Main Invisible Qui régule les Marchés et fait du systeme financier un systeme parfaitement résilient et souple capable de s'adapter à la crise, comme disait un chien de garde 1 jour avant l'éclatement des subprimes et ou l'on a vu que la Main Invisible du Marché n'existe pas. Et ne protège rien du tout.

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  6. Excellente analyse, à laquelle on peut ajouter que les réformes de Gerhart Schroeder ont précarisé une grande partie de la société allemande: une bonne part de leur "compétitivité" provient de l'absence de salaire minimum et de la relégation des femmes dans leurs foyers, faute de structures de garde pour les enfants.
    Angela Merkel et la CDU, aveuglés par leur égoïsme, entraînent l'Europe dans un déclin sans fin. Leur dire, leur faire comprendre, est rendre service à toute l'Europe, car, comme vous le souligniez, le modèle basé sur les exportations s'effondrera de lui même si les clients, Français en tête, n'ont plus la capacité d'acheter leurs produits.

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